Bien que propriété privée, aujourd'hui détenue par Monsieur Philippe V.-D. qui assume la lourde charge de ses destinées en ces temps incertains, ce monument exposé à la vue de tous demeure, avec les deux églises, le cœur du patrimoine cavagnacois ; il représente une partie de notre identité commune.
On n'évoquera pas ici les familles qui ont habité le château de Saint-Palavy (les Briat de Traversat, Dussol de Cartassac, de Bisschop), l'autre résidence aristocratique de la commune de Cavagnac, mais située sur l'ancienne paroisse et communauté de SaintPalavy dont le territoire (qui fut commune de 1790 à 1800) a été réuni ensuite à Cavagnac. Malgré leurs liens de voisinage et même leur parenté, ces familles différaient aux yeux de leurs contemporains dans l'ancienne société française, car elles appartenaient à des milieux qui distinguaient entre l'épée et le prétoire. On peut discerner trois époques :
1 - Moyen Age et Ancien Régime : Xlle siècle - 1791, la vieille France à Cavagnac.
Deux lignages seulement se partagent sept siècles de résidence au château, lequel conserve des éléments architecturaux des Xllle, XVIle, XVIlle et XIXe siècles. Il y eut les Robert de Cavagnac puis les Giscard, de la fin du XlVe siècle jusqu'à la Révolution.
1 - Les Robert de Cavagnac, Xlle- XIVe siècles.
Ils sont vassaux de l'abbaye bénédictine Saint-Pierre de Beaulieu, présente chez nous par une donation de 868, et sans doute les fidèles de ce monastère dès les origines du lignage. Les premiers connus apparaissent vers 1120 ; ils se prénomment Guillaume, Bernard, Rigal... Ils comptent aussi parmi les bienfaiteurs de l'abbaye cistercienne d'Aubazine dans la seconde moitié du Xlle siècle, un monastère largement possessionné sur nos deux paroisses. Mais à quoi peut alors ressembler le château ? On sait seulement que le bourg était fortifié à la fin du Moyen Age.
La généalogie des Robert aux XIlle et XlVe siècles nous fait très bien connaître ce lignage de chevaliers, ses biens, ses fonctions, ses alliances. Nous ne pouvons développer ici ces aspects ni consacrer à chacun une notice. Même contrainte au demeurant pour les Giscard.
Vers 1380, une alliance conclue entre l'unique héritière des Cavagnac et Bertrand de Giscard fait de Gaillard puis de Raymond de Giscard les successeurs des Robert de Cavagnac au château et les nouveaux maîtres de notre terre, Rigal III étant encore mentionné comme seigneur du lieu en 1367.
2 - Les Giscard de Cornac, seigneurs de la Giscardie, Mézels, Cavagnac, Thédirac, etc.
Ils sont originaires de la châtellenie vicomtale de Gagnac. Fidèles des vicomtes, ils obtiennent avec la concession pour Cavagnac de la haute justice qu'en principe le juge de la vicomté se réserve et exerce dans tout notre secteur (qui forme la châtellenie de Turenne), de rendre désormais à ceux-ci l'hommage qu'ils devaient et rendaient théoriquement à l'abbé de Beaulieu pour leurs fiefs tenus à Cavagnac. Mais il est vrai que ce transfert de fidélité avait été déjà effectué par Rigal III Robert de Cavagnac dans son hommage au vicomte Guillaume Roger de Beaufort en 1351. De Raymond de Giscard, « seigneur de Cavagnac » (1397) jusqu'à Jean Pierre de Guiscard, baron de Cavagnac, de Thédirac, etc., ce sont dix générations en quatre siècles qui se succèdent au château comme titulaires de la seigneurie.
Les sires du lieu se font connaître au cours de certains épisodes de la guerre de Cent Ans ou durant les guerres de religion. Avec Gabriel de Giscard (v. 1562-1632), ils se sont « tournés » huguenots pour mieux servir le vicomte Henri de la Tour dans ses expéditions contre les « papistes » des pays voisins, comme du Quercy (prise de Cahors), dans les années 1580.
Aux XVIle et XVIlle siècles, les Guiscard (c’est alors la nouvelle graphie et prononciation durcie de leur nom) sont surtout des officiers dévoués au service du monarque en ses armées. C'est d'ailleurs le sort de beaucoup de familles de la vieille noblesse d'épée et de la gentilhommerie campagnarde. Ainsi de Pierre François de Guiscard (1680-1751), chevalier de l'ordre militaire de Saint Louis, ancien gouverneur pour le roi de la place de Philipsbourg (jadis ville d'Empire, aujourd'hui en Moselle).
A chaque génération, les nombreux enfants étendent, par leurs alliances dans la noblesse d'un vaste périmètre, les dimensions d'une parentèle considérable et l'on peut dire sans exagérer que les Guiscard cousinent avec toute l'aristocratie d'alentour. Tout gentilhomme du pays se revendiquerait sans conteste peu ou prou cavagnacois par sa famille. Le château et l'église, qui caractérisent le paysage de la butte de Cavagnac, sont en un certain sens deux inséparables « demeures » : les seigneurs ont leur sépulture dans le chœur du sanctuaire, tel Jean Pierre de Guiscard, le dernier à y être inhumé en mars 1791, après son prédécesseur, Pierre François (1751).
Quant aux armes des Guiscard, les cornets qui ornent les armoiries de cette famille évoquent sa paroisse d'origine : Cornac. En 1789, le blason se lisait « Ecartelé : aux 1 et 4, de gueules, à un lévrier d'argent passant ; aux 2 et 3, d'or, à un cor de chasse de sable ». La municipalité a récemment repris cette belle composition héraldique pour porter les couleurs de la commune.
2 - De la Révolution au Second Empire : 1791-1870, les notables au château.
Des dix enfants du dernier seigneur Jean Pierre de Guiscard (1709- 1791) et de son épouse Paule Augustine de Plas (un antique lignage enraciné à Curemonte , et toujours représenté aujourd'hui, en dehors du Limousin, les enfants de Plas ayant quitté Curemonte en 1829), le seul héritier mâle (Georges, comte de Guiscard, 1746-1829), un personnage romanesque, décède ruiné et sans postérité, ses neuf sœurs étant d'Eglise, mariées ou restées filles. L'une d'elles, Marie Madeleine de Guiscard (1749-1825), convole à son tour dans sa famille maternelle en épousant (1776) Guy Charles, marquis de Plas, son cousin germain. Elle est la seule de sa fratrie à conserver jusqu'à sa mort une fraction (y compris l'aile de style classique du château, le « château neuf ») de l'ancien patrimoine des Guiscard, partagé après le décès de Jean Pierre en 1791. Cette succession, avec ses aléas et ses prolongements, est d'ailleurs, dans le tumultueux contexte politique de l'époque, un morceau d'anthologie juridique. Au nombre des ayants droit comme gendres, Antoine de Fouilhac de Padirac, époux (1773) de Marie Jeanne de Guiscard - qui a été investi avant la mort de son beau-père de la confiance de celui-ci navré de la conduite de Georges son propre fils gère adroitement la situation.
Le patrimoine des Guiscard (réduit à l'ancienne réserve seigneuriale et aux bâtiments de l'enclos, les tenures paysannes ayant, quant à elles, bénéficié à Cavagnac, comme partout ailleurs en France, de l’abolition de la propriété féodale entre les mains des exploitants, 1793) a traversé la Révolution sans trop d'encombre... II y eut, certes, quelques coups de burin pour bûcher les « cidevant » armoiries dans l'église et au château neuf... Confié aux bons soins d'un régisseur résidant sur place (Jean-Baptiste Delperrier), la plus grande partie du domaine et le « château vieux » échappent à la nationalisation et se retrouvent aux mains d'une famille bourgeoise de Carennac, les Valriviere.
Jean-Pierre Valriviere (1761-1826), avocat et partisan convaincu de la nouvelle France du Code Napoléon et de la propriété bourgeoise, qui a épousé en 1815 (à 54 ans) Madeleine Lalé (de Miers, 25 ans, décédée en 1822), garde jusqu'à sa mort la maîtrise du château vieux et d'une partie du domaine ; il a même eu la satisfaction d'envisager de les reconstituer en totalité au profit de sa fille après le décès de la marquise de Plas à Curemonte (1825).
Sa fille et héritière, Helene (1818-1891), orpheline de bonne heure, épouse (1836) Jean Guillaume (dit « Hippolyte ») Materre de Chauffour (1812-1876), d'une famille de juristes martelais ; Hippolyte sera conseiller général du canton de Vayrac et maire de Cavagnac sous la république conservatrice et le second Empire (1848-1870). Helene Valriviere était une figure bien connue des anciens cavagnacois ; ils se sont transmis la mémoire de « Madame de Materre », la maitresse femme des lieux. J'ai entendu ma grand-mère, Sophie (dite « Cécile ») Lafon (1874-1956) évoquer souvent le souvenir qu'adolescente elle avait conservé de cette dame « originale ». Le monogramme d'Hélène orne toujours la grille de la cour d’honneur.
3- Depuis 1870: être châtelains sous 1a République...
Parmi les cinq enfants d'Hippolyte Materre de Chauffour et d’Hélene Valriviere, une fille : Françoise (18401899) épouse en 1861 Louis Hector Baugier, de vieille bourgeoisie poitevine, dont la famille va rester, un siècle durant ou quatre générations, très attachée au château comme résidence de campagne. « Les Baugier » dont plusieurs enfants naissent au château à la fin du Second Empire, y sont présents jusqu'en 1968, soit de I' Empire libéral jusqu'à la fin de la République gaullienne. C'est, autour de 1920, au temps d'Henri Baugier (1868-1951), une nouvelle « belle époque» pour cette magnifique propriété entretenue avec un très grand soin.
Une interruption, toutefois, dans la présence assidue des Baugier au château : le partage qui intervient entre les enfants Materre en 1894, Françoise Baugier gardant une part de l'héritage mais l'essentiel allant à son frère, Bertrand Materre de Chauffour (1845-1919), qui ne saura rien conserver de son patrimoine. En 1906, il vend château et domaine. Son acquéreur est François Deloncle, homme politique important, né à Cahors de vieille famille quercynoise, députe de Cochinchine, diplomate et orientaliste, personnalité de grande culture. Mais cela est une autre histoire... Brève occupation des lieux en tout cas pour « Monsieur Deloncle » car, des 1909, la parenthèse est close, les Baugier ayant racheté leur demeure familiale. Mais le château -dont l'aménagement intérieur s'est «embourgeoise» aux dépens du décor des XVIe/XVIIIe siècles n'est habité qu'en été, pendant deux mois est-il précisé en 1911.
II est cédé une soixantaine d’années plus tard par Pierre Baugier (1906- 1992), fils d’Henri et son successeur (1956). Monsieur et Madame Moïse sont les acquéreurs du domaine pour le temps d'une génération en habitant les lieux de 1968 à octobre 2000. Malgré les lourds travaux d'entretien que ce couple fort amoureux du cadre et de la grande demeure entreprend, le campanile coiffant la tour carrée doit être déposé par mesure de sécurité en 1992 ; Cavagnac y perd I' un de ses repères familiers dans le paysage lointain. Déjà dans la basse-cour, le puits à la couverture monumentale, de menues dépendances et aussi une grange dans le jardin avaient disparu...
Signe des temps, les mutations immobilières se sont accélérées, comme partout ailleurs. Une famille britannique peut à peine déposer ses malles : Monsieur et Madame G. (2000-2001) sont acquéreurs de la famille Moïse mais John G. est frappé par la maladie et sa veuve doit revendre.
Depuis 2002, Monsieur Philippe V.D., dont la famille est d'origine quercynoise, assume avec une ténacité redoublée à partir de 2006, le sort du domaine dans un esprit d'entreprise (une société est créée en 2011) en exploitant les possibilités d' accueil du public par l'aménagement des « Salons » à louer (mariages, séminaires, etc.), et par une soirée musicale, toujours originale et fréquentée, dans le cadre du festival de Saint-Céré depuis août 2010. Le château renoue ainsi avec la fête et les mondanités qui y trouvent un cadre fait pour elles.
Les anciennes écuries, notable dépendance aux fondations médiévales, séparées (pour la première fois dans l’histoire millénaire du site) de ('ensemble du bloc castral, de l'enclos, sont devenues (2007) la propriété de Monsieur Michael V. qui les a transformées (2009) en une remarquable habitation, assurant ainsi la sauvegarde de I‘édifice.
Qu’il me soit permis d'ajouter, au moment de quitter cette galerie de portraits, que les enfants du dernier représentant de la famille Baugier au château (Pierre) conservent aujourd'hui leurs fidèles pensées a Cavagnac. La propriété fut le cadre (toujours merveilleux !) d'une partie de leur jeunesse buissonnière. Certains y ont célébré avec faste leur mariage. On les voyait arriver au bourg à Pâques, avec le chat, dans le bruit de crécelle de la Panhard « Tigre » de leur Père, une berline toute en rondeurs noires et vertes ... Les romans d'Alain Leygonie relatent plusieurs épisodes de ces années-là. Pour « les Baugier » d'aujourd'hui, la terre cavagnacoise est devenue la nécropole de leurs défunts.