mercredi, 31 octobre 2018 03:06

Un village de la vicomté de Turenne : Cavagnac-en-Quercy

Par Pierre FLANDIN-BLETY (2017)

Un village de la vicomté de Turenne : Cavagnac-en-Quercy, son église, son château et ses demeures

Sur les confins du Quercy et du Limousin où s'étend l'ancienne vicomté de Turenne, vous êtes à Cavagnac qu'on surnommait jusqu'au XVIe siècle Lou Fanhos (le fangeux !) à cause de son riche territoire argilo-calcaire, souvent inondé, peut-être aussi à cause de son grand marais de la Fondial. 

Blason

 Et vous rendez visite au « domaine du hibou » - cavannus, ce nom désigne en latin le hibou (ou la chouette) et peut être à l'époque gallo-romaine le sobriquet d'une personne... C'est, sous diverses formes, un toponyme répandu. Trois pôles patrimoniaux sont à voir par ordre d'ancienneté, et d'intérêt différent.

I - L'église

Nous savons toute l'importance de ce sanctuaire, foyer de la paroisse dans une société restée christianisée jusqu'à la sécularisation actuelle. A Cavagnac, le culte peut-être, le village sûrement est mentionné en 868 dans le cartulaire de l'abbaye de Beaulieu. Rien ne rappelle jusqu'ici cette lointaine période carolingienne. L'église actuelle, N.-D. de l'Assomption, a été bâtie vers 1150, en plein essor local des constructions romanes, et sous l'influence de Beaulieu comme en témoignent les divers éléments de son sobre décor sculpté. Si le choeur et la nef constituent un ensemble roman homogène, l'extension de l'édifice par la construction des deux chapelles latérales dans la seconde moitié du XV' siècle témoigne, comme à Beyssac des Quatre-Routes, de l'essor démographique et de la reprise économique de cette époque de relèvement. Nous connaissons par ailleurs les travaux d'entretien et de restauration entrepris aux XVIIIe (le portail) et XIXe siècle (le clocher). La sacristie a été constuite à l'époque moderne et l'ancien presbytère se situe à proximité. Dans son ensemble, l'église est classée monument historique depuis 1976.

II - Le château

Nous connaissons l'existence de fortifications castrales (castellum) vers la fin du XII' siècle. Mais un château, c'est d'abord la résidence d'une famille seigneuriale jusqu'en 1789.

1 - Les seigneurs du lieu.

Le lignage seigneurial est attesté depuis le début du XII' siècle. Deux familles seulement, exemple d'une remarquable continuité, occupent le château depuis le début de nos sources historiques et jusqu'à la Révolution. D'abord, les Robert de Cavagnac devenus simplement au fil du temps les Cavagnac. Ils dépendent féodalement de l'abbaye de Beaulieu et rendent hommage, jusqu'au XIVe siècle, à l'abbé pour le château et les possessions monastiques qu'ils tiennent de lui. Trois actes d'hommage nous ont été conservés (1188, 1274, 1327). Puis, dans la seconde moitié du XIVe siècle, les Giscard qui, originaires de la châtellenie vicomtale de Gagnac (à Cornac), transférèrent leur hommage au nouveau vicomte acquéreur de Turenne (1350). A partir du XVIIe siècle, ils durcissent leur patronyme en se faisant appeler de Guiscard et restent présents à Cavagnac, résidant après la Révolution au château « neuf » jusqu'en 1825, date du décès de Marie-Madeleine de Guiscard, marquise de Plas (à Curemonte, du chef de son mari), propriétaire de l'aile Louis XV et de quelques terres et prés, partie de l'héritage des Guiscard conservé durant la Révolution. Le dernier des Guiscard, Georges, « comte du nom, et baron de Cavagnac », 83 ans, marié mais séparé, disparaît en 1829, loin de Cavagnac. Il y aura réunification de l'ensemble châtelain par la famille Valrivière (elle avait d'abord acquis seulement l'aile est) dont l'héritière a épousé (1836) un Materre de Chauffour (Martel). Ceux-ci transmettent par alliance l'ensemble du domaine à la famille poitevine des Baugier (1836¬1968).

2 - Le château.

Il forme, avec sa cour, dans la terminologie du pays au Moyen Age, le « fort » de l'habitat villageois, son ultime refuge. Son intérêt réside, entre autres, dans la succession des campagnes de remaniement des édifices entre le XIII' siècle (essentiellement la tour carrée), la fin du XVIe siècle (l'anachronique bastion mâchicoulé au nord) et le XIXe (transformation de l'aile est et de l'intérieur de la grande aile méridionale ou Louis XV (construction du grand escalier central, création d'une cour d'honneur). En partant d'une seule maison manoriale, du logis seigneurial (hospicium) ou « salle », à l'est, reprise au XVIIe siècle (les baies), on aboutit à la construction, vers 1750 (ou un peu plus tard ?) de la grande et sévère aile classique au sud. Elle est l'ouvrage de Jean-Pierre de Guiscard, baron de Thédirac, seigneur de Cavagnac (1709-1791) père d'une nombreuse famille (douze filles, un garçon). Des bâtiments ont depuis disparu (une tour ronde - dite de Saint-Michel - à l'angle sud-ouest ; des communs ; la couverture du grand puits de la basse-cour, le campanile de la tour carrée). Le château bénéficie depuis 2013 d'une inscription à l'inventaire des monuments historiques.

III - Le village.

Son étude archéologique et historique est actuellement entreprise sous l'égide de l'association « Les Amis de Cavagnac ». Toutes les bonnes volontés y sont bienvenues.

Dans son ensemble Cavagnac est un castrum, c'est-à-dire un village, un lieu fortifié. Dans les textes des XlVe/XVe siècles, il est question du valat ou fossé, des murs, des portes, d'une bistour... De toutes ces défenses, il ne reste plus que les murs, peut-être, de la promenade du château ; subsistent aussi de vraisemblables vestiges d'enceinte fortifiée faisant suite à la porte donnant sur le « réduit » dont il va être question ; ou encore les parois aveugles des maisons côté ouest du bourg, formant rempart sur la vallée. Le plan du bourg dessine nettement un rétrécissement de l'habitat en forme d'amande au-delà, en montant, de la croix située en bas du mur du jardin de la maison Leygonie où débouche d'ailleurs l'un des accès est au bourg. C'est probablement l'emplacement d'une porte fermant l'accès au reduch, «réduit », autre terme de la défense médiévale d'un village fortifié en Quercy. Les maisons du bas du village forment un barri (faubourg). Trois principaux chemins mènent au barri : au nord, vers Saint-Palavy, une antique route de crête ; deux passages vers l'est et un seul accès à l'ouest. Au sud, c'est l'impasse de l'éperon barré.

Le village a souffert de la guerre de Cent Ans. A la fin du XIVe siècle le château a été pris par « les Anglais » comme en témoigne une demande d'aide adressée aux consuls de Martel, signée « Rigal de Cavanhac, chevalier ». Hormis l'église et la tour carrée, il ne reste à peu près rien d'antérieur à la grande Reconstruction de la seconde moitié du XVe siècle. Dans son immuabilité séculaire, le village reste rural jusqu'aux années 1970/1980 (trois exploitations agricoles).

Outre le château et l'ancien presbytère situé près de l'église, chacune des quinze habitations que conserve le village (plusieurs ont disparu) a naturellement son histoire familiale et présente les caractères d'un bâti spécifique allant du XVe jusqu'au début du XXe siècle. La longue succession des générations d'une même famille a individualisé les ostals du bourg (les maisons Jaubertie, Louradour, Gramat, Valette, Delpech - plusieurs maisons de ce nom -, de Vézy, Leygonie, Sieurat, Vigne ou Toulzac...). Une seule de ces familles anciennes conserve toujours sa propriété de Cavagnac, à défaut de son domicile. Les temps actuels, à l'inverse du passé et de façon générale, favorisent les mutations fréquentes*. Cavagnac est devenu un village de résidants secondaires, mais cavagnacois permanents de cœur, par leur fidèle présence saisonnière et l'intérêt bienveillant qu'ils manifestent pour l'histoire de ce site préservé.

 

*« Les mutations fréquentes de propriétés sont un avantage pour le fisc plus que pour l'Etat. Une vente de biens dans les campagnes est en général l'extrait mortuaire d'une famille » (Louis de Bonal, Pensées).